nique la timeline ※ toit du pensionnatAllani, derrière elle, des dossiers entre les bras, se fondait à l’ombre de la présidente.
Le pas, grimpant les escaliers de ses talons trop hauts, claquait dans un rythme impérial.
Les épaules grandies, le menton fier, le visage droit, le dos était cambré, l’allure royale ;
Ishtar ouvrit la lourde porte du toit dans un vacarme soudain, et claqua de ses deux mains gantées devant elle.

Très bien, messieurs, mesdemoiselles, tout le monde s’en va. J’aimerais m’entretenir avec Monsieur Reyes.

Le sourire qui s’était hissé à ses lèvres s’éteignit aussitôt, et le regard devint soudain noir lorsque l’ordre ne fut pas pris au sérieux tout de suite.
La voix alors s’abattit comme la foudre.

J’ai dit tout le monde dégage.

Une aura glaciale se dégageait d’elle.
Et traversant alors la poignée d’élèves qui s’écartaient pour partir derrière elle, elle avança au-devant de Alvaro Reyes, assis là, sur une des ventilations.

Outrepassons le fait que tu sois sur le toit plutôt qu’en cours et que ce qu’il se passe ici doit probablement enfreindre… au moins trois paragraphes du règlement, veux-tu ? Je ne suis pas venue pour ça.

Elle tendit la main vers Allani qui lui donna un des dossiers.
L’ouvrit devant elle.

Les griffes qui parcouraient les murs du club de journalisme devaient être celles d’un grizzli, à en croire les analyses. Et… Le mur qui s’est effondré aurait résisté à bien des coups, mais certainement pas celui d’un rhinocéros, et il aurait très certainement fallut la force d’un gorille pour déplacer la poutre principale. Alors…

Elle referma le dossier dans un bruit sonore.

Donne-moi une très bonne raison de ne pas te faire renvoyer immédiatement.

nique la timeline ※ toit du pensionnatUne journée comme une autre pour Alvaro Reyes qui, comme à son habitude, avait décidé de ne pas s’imposer les tourments d’une journée insipide cloîtré entre quatre murs pour s’adonner à ce qu’il faisait de mieux : ne rien faire, oui, mais à plusieurs.
C’est donc entouré de plusieurs membres de son gang qu’il avait passé les deux dernières heures à discuter sur le toît du pensionnat, s’échangeant quelques vannes et en profitant d’une nourriture grasse mais satisfaisante à souhait que l’on pouvait trouver dans n’importe quel fast food digne de ce nom.
Ce genre de journée n’était pas à mettre sous une égide particulière, Alvaro Reyes agissait ainsi pour tromper l’ennuie mais surtout parce qu’il n’était habité d’aucune passion propre.
Par ailleurs, sa promesse à Diana-Maria, il l’avait tenue.
N’avait manqué aucun entraînement du club d’escrime, on pouvait même dire qu’il avait fait preuve d’une discipline rare.
Ce qui ne l’empêchait pas de ne toujours pas adopter le mode de vie d’un champion.
Mais ce serait malgré tout suffisant pour surpasser quiconque, n’est-ce pas ?

Une présence qui n’avait rien de familière s’était immiscée sur le toît ensoleillé et avait emmené avec elle orage et tempête.
Voix glaciale qui tranche avec la désinvolture des comparses d’Alvaro, c’est Ishtar Forbes la présidente du BDE qui se fait entendre.
Alvaro reste d’abord muet à sa première directive, un regard mauvais est adressé en direction de l’assistante chargée de porter un dossier comme l’aurait fait un animal de compagnie bien éduqué, comme si Ishtar Forbes était trop bonne pour porter elle-même ses papiers.

C’est face à l’insistance de cette dernière qu’il invite d’un signe de tête discret le reste de ses camarades à obéir.
S’il y avait bien une personne avec qui on ne gagnait pas de bataille d’influence dans ce pensionnat, c’était bien Ishtar Forbes.
Alvaro était resté avachi mais silencieux alors qu’elle se mit subitement à lui dresser un scénario pour le moins étonnant de ce qu’il s’était passé dans le club de journalisme.
Le prodige d’escrime avait entendu parler de la destruction de ce dernier et, à vrai dire, n’avait pas caché la joie que lui procurait cette nouvelle.
Mais qu’on l’accuse subitement d’avoir fait ça lui-même ?

Visiblement dépassé par les déclarations de la présidente, Alvaro se redresse brusquement et quitte la ventilation sur laquelle il avait précédemment érigé son perchoir.
Outré.

Qu’est-ce que vous racontez ? J’ai absolument rien à voir avec ce qu’il s’est passé dans ce club. J’étais à l’entraînement, comme pourra vous le dire n’importe quel membre du club.

Un sourcil haussé, jette un regard à Allani avant de revenir à Ishtar.

Vous savez très bien de qui ça peut bien être l'œuvre. Y’en a un seul dans cet établissement qui s’amuse à tout foutre en l’air et vous faites tous comme s’il n’existait pas.

L’impunité de Weidmann dans cette prison avait toujours dépité le jeune homme.

nique la timeline ※ toit du pensionnatSurveille tes paroles, Reyes.

L’ordre avait été sifflé avec le sourire, mais le regard ne mentait pas, le soleil était trompeur lorsque c’était des orages qui s’abattaient à chaque fois qu’elle déposait son regard.
Elle rendit le dossier à Allani, et commença, lentement, à retirer son gant droit.

C’est vrai, il ne s’agit pas de toi. Et nous savons tous qui est le responsable. Ne crois pas que je ferme les yeux sur ses agissements. Disons que je m’en charge d’une autre manière.

Elle avait terminé de retirer son premier gan et commença à faire de même avec le deuxième, alors que le regard tombait à ses mains sans adresser une oeillade à Alvaro.

Maintenant, tu apprendras que ce qui est important, Reyes, ce ne sont pas les faits, mais les preuves.

Elle déposa ses deux gants sur la pile de dossiers portée par Allani.
Croisa les mains devant elle, à hauteur de ses hanches, relevant un visage radieux, souriant, à Alvaro.

Et aujourd’hui j’ai décidé que tu serais coupable. Je t’avais promis un arrière-goût amer aux altercations avec Octavio, je crois ?

Imperturbable.
Le sourire étiré sans aucune émotion.

Je suis ouverte à toute proposition, alors permets-moi de réitérer ma demande : donne-moi une bonne raison de ne pas te faire expulser immédiatement.

nique la timeline ※ toit du pensionnatA l’ordre qui avait été sifflé, Alvaro s’était tu.
Bien conscient qu’il était inopportun de construire sa défense sur les manquements d’une équipe administrative possédant droit de vie ou de mort sur sa scolarité, l’angle avait été choisi plus par contrariété que véritable stratégie.
Ishtar Forbes avait de toute façon sûrement déjà saisi à qui elle avait affaire et le fait qu’il ne fasse absolument pas le poids face à elle dans le contexte d’une accusation comme celle-ci ne lui avait certainement pas échappé.

Il aurait pu s’évertuer à clamer sa défense hors et fort, exposer toutes les incohérences du récit, mais Ishtar avait rapidement établi un état de fait préoccupant : elle était consciente que Alvaro Reyes n’était pas coupable mais n’en avait également strictement rien à faire.
Face à la chute de toute éventuelle défense, le sportif était resté muet.
Que lui restait-il à dire si ce n’est à quelle sauce Ishtar avait décidé de le cuisiner ?
L’évocation de sa dernière altercation avec Octavio lui arrache une crispation de malaise.
Encore un combat que Alvaro ne pourrait pas gagner.

Oui, vous l’aviez promis.

Intimidé par le manque d’émotion évident dont faisait preuve la présidente, il lui paraissait invraisemblable de l’atteindre par l’empathie.
Ishtar Forbes avait pour habitude de régner sur cet établissement comme s’il s’agissait de son territoire et nul doute qu’à ses yeux Alvaro n’était qu’une poussière de plus à écarter.
Pourtant, l’impuissance dans cette situation le rendait amer.

Je ne suis pas suffisamment idiot pour imaginer que vous en avez quelque chose à faire d’un redressement de conduite de ma part. Ce qui vous intéresse c’est vous, n’est-ce pas ?

Pas bien différente des autres, au final.
Elle cherchait son profit comme pouvaient le faire les autres membres du BDE.

Ce que vous voulez vraiment savoir c’est qu’est-ce que je peux faire pour vous, c’est ça ?

Marque une pause.
Une longue pause.
L’impression de se retrouver dans la situation d’un lapin contraint de négocier avec un tigre.

Qu’est-ce que vous voulez, Forbes ?

nique la timeline ※ toit du pensionnatIshtar n’avait plus souri.
Puisque les termes avaient été clairs, elle n’avait plus besoin de faire semblant.
La voix avait claqué dans l’air.

Merci, Allani, tu peux disposer.

Et la vice-présidente avait hoché la tête puis s’était rétractée.
Ishtar avait déposé deux doigts sous le menton de Alvaro, et y avait déposé un de ses fils - invisible tant qu’elle ne l’activait pas.
Elle avait rompu le contact presqu’aussitôt après lui avoir fait relever le visage.

Je n’ai pas encore décidé.

En passant à côté de lui, elle déposa au passage, des deux même doigts, un de ses fils à son poignet puis s’était approchée de la ventilation sur laquelle il était assis juste avant, et s’y était installée, les deux mains de chaque côté de ses hanches. Elle l’avait forcé, d’un coup sec sur le fil de son poignet, à se retourner pour continuer de la regarder.

En vérité, je n’ai pas encore défini si tu pouvais m’être utile ou non. Si tu veux tout savoir, je n’ai aucun intérêt particulier à te faire tomber pour cet événement-là, mais Isaac Weidmann est intouchable et Diana-Maria Wright n’est plus une option envisageable.

Dévoilait étrangement facilement les cartes qu’elle avait en main.

Alors c’est plutôt à toi de me dire… A quoi tu peux bien me servir ?

nique la timeline ※ toit du pensionnatLa présidente avait invité sa suppléante à quitter la scène du crime et, en un sens, Alvaro était tenté de la remercier pour le beau geste.
C’était moins humiliant pour lui de se faire massacrer seul à seul avec Ishtar.
Les deux doigts qui se posent sous son menton lui arrachent un recul presque imperceptible, non pas qu’il avait en horreur l’idée d’être en contact avec son interlocutrice, mais le geste était surprenant.
Il avait toujours été convaincu qu’elle s’était munie de gants pour ne pas avoir à toucher le commun des mortels.

Sans qu’il ne comprenne comment, son visage s’était retrouvé happé dans la même direction qu’elle, pour ne pas rompre le contact visuel, le contact physique n’ayant pas été prolongé.
Reste silencieux alors qu’elle explique avec un flegme certain la logique selon laquelle elle n’avait pas grand intérêt à le faire tomber pour ces événements mais que, faute de mieux, elle comptait essayer d’en sortir gagnante malgré tout.
Et Alvaro n’était pas convaincu de pouvoir se prêter à quelconque usage, pour pas qu’il s’y refuse catégoriquement, mais il aurait bien été incapable de mettre en avant sa valeur alors qu’il n’avait, jusqu’à présent, jamais prouvé quoi que ce soit.

Mais Ishtar avait déjà gagné la bataille et c’est sans surprise qu’elle dévoilait son jeu, puisqu’il n’y avait de toute façon plus de partie en cours.
Alvaro se demandait simplement comment est-ce qu’il pouvait s’en sortir sans y laisser trop de plumes.

J’imagine que ça ne sert à rien de faire le forcené. Je n’ai pas envie de me faire renvoyer, même si je n’en donne pas l’impression. Alors je suis prêt à m’offrir à votre petit jeu. Cependant.

Une main se porte à l’arrière de sa tête.
Un peu gêné.

Je pense que vous avez perdu votre temps. Il n’y a pas grand chose qu’une personne comme moi puisse apporter à une personne comme vous. Je n’ai pas d’argent, pas d’influence en dehors d’un gang de type pas plus débrouillard que moi et je ne gagne même pas les compétitions d’escrime dans lesquelles je suis inscrit.

Le bilan n’était pas reluisant, mais c’était ainsi.
Cela ne voulait pas dire que Alvaro n’avait aucun potentiel à développer.
Mais il n’avait pas beaucoup de fait d’arme à lui exposer présentement.

Je sais briser des jambes mais je ne suis pas sûr que qui que ce soit dans cet établissement essaye de vous attaquer. Si vous voulez, éventuellement, je peux briser les membres de quelqu’un qui vous embête et on pourrait se considérer quitte ? Weidmann, par exemple ?

nique la timeline ※ toit du pensionnatAlvaro se montrait bien moins récalcitrant qu’elle ne l’avait imaginé, et peut-être que, d’une certaine manière cela l’avait déçue. Elle avait imaginé un nombre incalculable de scénarios dans lesquels elle aurait du le piéger et elle n’avait du en mettre qu’un seul en exercice.

Ou alors il ne sous-estimait pas Ishtar et comprenait son combat perdu d’avance, ou alors il était effectivement inutile.
Elle n’avait pas encore décidé laquelle des deux options était la bonne.

Tu ne rends même pas le jeu amusant.

Elle avait haussé les épaules.

Crois-le ou non, vos compétitions m’intéressent. Et il m’a été rapporté que tu étais un fainéant. Mais j’ai cru comprendre qu’une dernière mise à jour eut été faite à ce niveau-là, j’ose espérer, donc, que tu me rendras très fière lors de la prochaine rencontre inter-écoles.

Elle ricana.

Pour le reste, je crains en effet que tu sois complètement inutile.

Pencha la tête, un rictus coincé aux lèvres.
Perfide regard.

Est-ce que tu sais faire le thé, Reyes ?

nique la timeline ※ toit du pensionnatSa proposition n’avait visiblement pas éveillé l’intérêt de la présidente qui s’était contenté de lui envoyer sa déception au visage.
Alvaro ne saurait dire s’il se sentait coupable de n’avoir su lui apporter le jeu qu’elle attendait de lui mais il n’avait pas pour habitude de se lancer dans un combat inutile ou bien de jouer de bluff.
Le sportif était aussi sincère et honnête dans son manque d’ambition qu’il l’était en ce qui concerne ses compétences.
Briser des jambes, il le faisait bien.
Trop bien, à vrai dire, pour son propre bien.
Parce que la compétition des autres clubs d’escrime, il pourrait l’écraser s’il s’en donnait les moyens.
Et Ishtar Forbes venait de lui donner une bonne motivation pour redoubler d’effort.
Sa propre liberté.

Fainéant, peut-être. Meilleur qu’eux, c’est sûr. Je n’ai pas l’intention de m’investir pour une équipe comme celle-ci. Mais si c’est pour vous faire plaisir, là, c’est différent.

Si Alvaro avait bien saisi une chose de cet échange, c’est que faire à Ishtar pouvait bien vite s’assimiler à une vie scolaire moins tumultueuse et une certaine sécurité en ce qui concerne ses activités extra-scolaires.
En somme, faire plaisir à Ishtar pouvait se résumer à vivre une vie tranquille dans les murs de cette prison.
Il n’y avait pas de mal à gratter le dos du gardien de sa cellule pour recevoir une friandise, n’est-ce pas ?

J’écraserais la compétition. C’est tout ce que vous attendez de moi, c’est ça ? C’est les termes de notre accord pour que je puisse rester ?

Il était finalement prêt à accepter bien plus que ce qu’il aurait imaginé.
Au sujet de sa dernière question, en revanche.

Le thé ? Non, pas vraiment.

Hausse un sourcil.
Jusqu’à preuve du contraire, le “non” n’était pas une réponse qu’elle approuvait.

Mais je peux apprendre.

nique la timeline ※ toit du pensionnatElle avait frappé de ses deux mains devant elle.
Un air satisfait au visage.

Excellent !

Le sourire qui fleurissait là était amer ;
Mais rien ne saurait exulter d’une Ishtar qui avait appris à masquer toute émotionnalité.

Tu demanderas à Allani de t’apprendre à faire le thé.

Elle se releva soudainement.
En tirant sur les fils à son poignet et à son menton, elle l’obligeait à se pencher en avant, baisser la tête.
Comme s’abaissant lorsque la reine se levait.

Et je serai aux premiers rangs pour admirer toutes tes victoires, dans ce cas.

L’obligeait à se redresser de quelques mouvements secs de ses doigts.
Elle releva le menton, elle aussi.

Félicitations, Alvaro, te voilà devenu mon stagiaire ! Tu feras le thé, tu ne toucheras à aucun dossier, et tu seras ma jolie plante verte dans les couloirs.

Elle sortit, des poches intérieures de sa cape déposée sur ses épaules, une autre paire de gants que la précédente, celle-ci d’une couleur noire.

Bienvenue au BDE, je te retrouve à la porte de ma chambre demain matin à sept heures trente. Ne sois pas en retard, je déteste attendre.

Elle l’avait salué d’un simple signe de la tête, avant de l’outre-passer, et traverser la porte qui menait aux escaliers, lui faussant compagnie dans l’écho de ses talons contre le sol.